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Exilés, réfugiés, demandeurs d'asile : une brève histoire des migrations forcées _

Des arbres fruitiers jusqu’aux vagues contours dessinés sur une carte géographique, certains indices laissés par la réalisatrice de La Traversée nous renvoient à la situation de l’Europe de l’Est au siècle dernier. Les arrière-grands-parents de Florence Miailhe étaient des Juifs d’Odessa contraints à l’exil en 1905, alors qu’une vague de pogroms s’abattait sur l’Ukraine. A l’époque, la ville d’Odessa est contrôlée par l’Empire russe et assiste à la montée d’une révolution qui menace l’autocratie tsariste. Pour y répondre et diviser les cellules révolutionnaires locales, des rumeurs antisémites sont répandues par les soutiens de Nicolas II, menant à des massacres de juifs odessites. Cette persécution n’est pas inédite en Ukraine : depuis le XVIIIe siècle, le pays est inscrit sur la carte d’une « zone de résidence » où sont confinées les populations juives issues des territoires annexés par l’Empire russe. Des millions de Juifs sont ainsi déplacés pour être confinés dans une région qui s’étend de la mer Baltique à la mer Noire.

À l’issue de la révolution bolchévique, et au sortir de la Première Guerre mondiale, l’Ukraine est disloquée. La population ukrainienne est partagée entre les différents pays issus des traités de paix. Beaucoup de Juifs partis en exil pour fuir les pogroms sont alors rendus apatrides par les redécoupages territoriaux. Seul un statut de réfugié leur est garanti depuis 1922 par la Société des Nations. Ce statut est toutefois peu protecteur : imaginé pour protéger des réfugiés ayant perdu leur nationalité dans l’éclatement de la Russie impériale, il n’offre qu’un laissez-passer aux frontières. En reposant sur la seule situation d’apatridie des individus qui en bénéficient, cet instrument juridique ne tient pas compte des persécutions politiques ou religieuses dont peuvent être victimes ses bénéficiaires. Sans possibilité d’exil, les Juifs continuent de subir des pogroms dans toute l’Europe orientale, parfois même avec la complicité des forces politiques nationales.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, alors que des millions de Juifs ukrainiens ont été évacués par le pouvoir soviétique et que plus d’un million d’entre eux ont été assassinés, on constate l’incapacité des pays libéraux d’Europe à protéger les réfugiés persécutés par un régime violent. La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 vint alors réaffirmer le droit d’asile, suivie de la Convention de Genève sur les réfugiés en 1951. Ces deux textes garantissent un statut juridique aux personnes fuyant leur pays lorsque celui-ci les persécute pour leur origine ethnique ou sociale, leur religion, leur nationalité ou leurs opinions politiques.

Ainsi, le statut de réfugié a été reconnu par le droit international et renforcé au niveau des États dans le cadre du droit d’asile. Lorsqu’un étranger ne correspond pas aux critères de la Convention de Genève et ne bénéficie pas du statut de réfugié, le droit d’asile offre un relai pour qu’il obtienne une protection subsidiaire dans le pays où il a fui. Dans les deux cas, que le demandeur d’asile soit reconnu comme réfugié par l’État qui l’accueille ou qu’il bénéficie d’une protection subsidiaire, sa sécurité est garantie pour toute la durée de son titre de séjour. À côté de ces deux instruments juridiques, un troisième régime de protection temporaire peut être mis en place depuis 2001 sur décision du Conseil de l’Union européenne pour accueillir des populations arrivant massivement d’un pays en guerre. Utilisé pour la première fois dans le contexte de la guerre en ex-Yougoslavie, ce statut spécial de « déplacé » évite de surcharger les services d’immigration avec de nouvelles demandes, alors que la procédure d’asile ne cesse de s’allonger sous les demandes croissantes de réfugiés syriens, afghans ou iraniens, mais aussi africains. Dans les faits, les déplacés bénéficient à leur arrivée d’un accès immédiat au marché du travail et peuvent obtenir des soins de santé remboursés pendant un an, là où les demandeurs d’asile connaissent un parcours du combattant pour obtenir un permis de séjour en France.
C’est ce statut qu’a adopté l’Union européenne au début de l’invasion russe en Ukraine, en mars 2022. Témoignage d’une mobilisation exceptionnelle des pays de l’Union européenne, l’accueil des déplacés ukrainiens répond aussi aux attentes des populations européennes marquées par le retour de la guerre sur le Vieux Continent. Pour autant, les associations accompagnantes critiquent un choix qui instaure une distinction entre des réfugiés fuyant tous une situation de violence.

- Texte de Cyril Marchan, producteur délégué sur France Culture
(Extrait du dossier pédagogique du film réalisé par Capricci/CNC)

Lexique _

La migration De quoi parle-t-on ?
Huit mots, huit définitions, pour comprendre la réalité migratoire avec un peu plus de justesse

Étranger
Se dit d’une personne qui ne possède pas la nationalité française. Cet état peut changer au cours de la vie d’un individu puisqu’il peut l’obtenir. Cette notion ne recouvre pas celle d’immigré puisque l’on peut être étranger sans jamais avoir migré (c’est le cas des personnes qui sont nées et vivent en France mais qui n’ont pas la nationalité française). À l’inverse, on peut être immigré mais ne pas être étranger (c’est le cas des personnes qui sont nées dans un autre pays, qui se sont installées en France et ont obtenu la nationalité française).

Migrant
Se dit d’une personne qui quitte son pays d’origine pour s’installer durablement dans un pays dont elle n’a pas la nationalité. Si le terme « immigré » favorise le point de vue du pays d’accueil et le terme « émigré » celui du pays d’origine, ce vocable prend en compte l’ensemble du processus migratoire.

Immigré
Se dit d’une personne née à l’étranger et résidant en France. Elle continue à appartenir à cette catégorie même si elle devient française par acquisition. On peut être Français et immigré. C’est le pays de naissance, et non la nationalité à la naissance, qui est déterminant. Cela est permanent, ne change pas.

Demandeur d’asile
Se dit d’une personne qui a fui son pays, parce qu’elle y a subi des persécutions ou craint d’en subir, et qui demande une protection à la France. Sa demande est examinée par l’OFPRA et la Commission des recours des réfugiés. À l’issue de l’instruction de son dossier, elle est soit reconnue réfugiée, soit déboutée de sa demande.

Réfugié
Se dit d’une personne à qui la France accorde une protection, en raison des risques de persécution qu’elle encourt dans son pays d’origine du fait de son appartenance à un groupe ethnique ou social, de sa religion, de sa nationalité ou de ses opinions politiques.

Débouté
Se dit d’une personne dont la demande de reconnaissance du statut de réfugié a été rejetée. Elle devient alors sans-papiers.

Sans-papiers
Se dit d’une personne étrangère qui vit dans un pays sans en avoir obtenu le droit. Cette appellation indique qu’elle n’a pas de papiers l’autorisant à vivre en France (titre de séjour), mais cela ne signifie pas qu’elle soit dépourvue de papiers d’identité (carte d’identité ou passeport par exemple). Elle n’est pas forcement arrivée clandestinement en France : elle peut avoir été autorisée à rentrer sur le territoire, mais ne pas avoir obtenu l’autorisation d’y rester.

Clandestin
Se dit d’une personne qui enfreint les règles au droit de séjourner en France et se soustrait à la surveillance de l’administration. Très souvent, les sans-papiers ne le sont pas car leur situation est connue de l’administration.

À consulter _

Musée de l’Histoire de l’Immigration _

Des ressources documentaires, des outils de réflexion, pour aborder l’histoire de l’immigration.

À écouter _

Nos géographies Parcours de migrants _

Podcast issu de  Géographie à la carte (France Culture)
Dans “Nos géographies”,  nous suivons les parcours de migrants, multiples, hommes, femmes, familles entières, de part et d’autre de la planète. Avec David Lagarde, géographe, et Catherine Wihtol de Wenden, politologue.

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Podcast

Focus sur _

Des femmes en mouvement. Images et réalités des migrations féminines _

Ce film aborde la question de la représentation des migrations féminines en s’appuyant sur les collections du Musée national de l’histoire de l’immigration. Les migrantes ont longtemps été invisibilisées ou réduites à une figure vulnérable et à des traditions auxquelles elles seraient soumises.

Play Video

À regarder _

Réseau Traces _

Des films sur les migrations.

À débattre _

Migrations en questions _

Aborder les questions migratoires est un exercice délicat. En effet, si les citoyen.nes formulent légitimement des interrogations, ils ne reçoivent pas toujours des réponses objectives car la question est politiquement instrumentalisée. En réalité, le débat public se réduit souvent à deux options politiques aussi antagoniques qu’irréalistes : la politique du « tout fermé » et celle du « tout ouvert ».

Regards photographiques

Patrick
Zachmann _

Agence Magnum _

Mare Mater

En 2006, Florence Miailhe découvre des photos de son mari, Patrick Zachmann, qui travaille pour l’agence Magnum. Il revient de Malte et de l’île de Lampedusa, en Italie, où il a signé des reportages sur les migrants venus d’Afrique échoués sur place, à bout de forces. En regardant ces images, la cinéaste fait le lien avec son arrière-grand-mère qui, en 1905, avait dû quitter Odessa pour fuir les pogroms, passant par la Grèce et la Roumanie avec ses dix enfants, et enceinte du onzième. À l’époque, passer les frontières n’était pas difficile comme aujourd’hui ; mais vivre « ailleurs », loin de ses racines, de sa culture d’origine, l’était tout autant. Tout comme subvenir aux besoins d’une famille très nombreuse, en mentant sur le nombre réel d’enfants qui la composaient, pour pouvoir obtenir un logement décent.

Alex
Majoli _

Agence Magnum _

Crise des réfugiés à Lesbos

Début octobre 2015, Alex Majoli s’est rendu sur l’île de Lesbos, au large des côtes grecques, pour faire un reportage sur la crise des réfugiés. Des milliers de réfugiés sont bloqués sur l’île, censée être une route vers l’Europe centrale, tandis que les autorités locales sont dépassées par la situation.

https://www.magnumphotos.com/newsroom/alex-majoli-refugee-crisis-on-lesbos/

Pour comprendre le travail d’Alex Majoli :
https://www.le-bal.fr/2019/05/alex-majoli

Olivier
Jobard _

Agence Myop _

« Après avoir couvert de nombreux conflits comme photojournaliste, je me suis rendu en 2000 à Sangatte. Sous ce hangar qui faisait office de camp, j’ai rencontré des exilés afghans, tchétchènes, irakiens, bosniaques… Tous avaient quitté leur pays à cause de guerres qui avaient nourri 10 ans de ma vie. J’étais bouleversé. De nos échanges dans ce dernier caravansérail est née l’envie d’étudier les questions migratoires. »

Ad
Vandereden _

Agence Vu _

Go No Go, 1988-2002

Aux frontières de l’espace Schengen : demandeurs d’asile et immigrants en Europe. Dans Go No Go, Ad Van Denderen nous conduit aux confins de l’Europe où les immigrants tentent de rejoindre l’Ouest en suivant les chemins des passeurs, avec plus ou moins de succès. Il nous emmène dans les postes de police et les centres de réfugiés où, entourés de leurs dossiers de première main, les enquêteurs tentent de déterminer l’identité des réfugiés.

Reviews

PROMENADE picturale

Proposée par Geneviève Furnémont _

Geneviève Furnémont a accepté de partager son regard d’historienne de l’art sur La Traversée, comme une invitation à chacun et chacune à s’emparer du film avec ses publics, dans ses domaines de prédilection et avec sa sensibilité propre. Le fil rouge qu’elle a choisi est le suivant : la création comme besoin vital pour survivre dans une situation conflictuelle. Partant de là, elle défriche de manière libre et subjective les chemins arborescents que peut ouvrir le film vers d’autres oeuvres.

Couleurs et techniques fluides nous mènent à Charlotte Salomon. Les similitudes stylistiques sont évidentes. Née à Berlin en 1917, elle sera assassinée, enceinte, à Auschwitz, en 1943. Au début de la guerre, elle commence une série de 784 gouaches qui commémorent l’histoire de sa famille et de son peuple.
« Vie ? Ou théâtre ? » Le titre évocateur démontre l’incrédulité face à ce déchaînement de violences. Couleurs primaires, textes simples, citations littéraires en font une oeuvre complète, un témoignage absolu, et un manifeste de vie incontournable. On peut s’emparer aussi de sa biographie écrite par David Foenkinos.

Nuit de Cristal, Charlotte Salomon, 1940, gouache
Le Petit camp à Buchenwald, Boris Taslitzky, 1945, huile sur toile © M.N.A.M Centre Georges-Pompidou, Paris

« Non, la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements. C’est un instrument de guerre offensive et défensive contre l’ennemi », Picasso le rappelle, et reste à Paris pendant la guerre, une forme de résistance.
Boris Taslitzky nous a quitté en 2005 et ses dessins témoignent de la vie des camps, de la vitalité qui irrigue un coup de crayon et empêche de mourir. « Si je vais en enfer, j’y ferai des croquis. D’ailleurs, j’ai l’expérience, j’y suis déjà allé et j’y ai dessiné !… »
Les exemples sont nombreux : Max Ernst au Camp des Milles, Félix Nussbaum à Gurs, France Hamelin et la rafle du Vel’ d’Hiv’…

Certains vont créer à partir de rien. Roger Payen reproduit des cellules de prison dans des boîtes d’allumettes. Mécanique de précision qui vire au témoignage, nécessité absolue de création, peu importe le médium.
On peut le rapprocher de l’Art Brut, où les artistes, par contre, ne sont pas conscients de la portée de leur travail, mais où la création défie l’enfermement, réel et / ou psychologique. Guillaume Pujolle devient, selon les mots de Gaston Chaissac, une sorte de « président du club des échappés de la vie moderne ».
Il crée sur des images à partir de calendriers, de photos anciennes, il aquarelle ses dessins avec des produits pharmaceutiques qu’il dérobe dans l’asile où il est enfermé. Une mèche de cheveux roulée dans du papier lui sert de pinceau. La création n’est pas toujours dans un tube de peinture et une toile sur un châssis.

L’Astronome, Guillaume Pujolle, 1946
gouache, aquarelle, crayon de couleur, crayon graphite, encre
et produits pharmaceutiques sur papier © Droits réservés
Le Jeu de Marseille, dessiné par André Breton et plusieurs autres artistes, 1940-1941.

André Breton, réfugié à Marseille avec Jacqueline Lamba, sous la houlette de Varian Fry, imagine un jeu de cartes, inspiré des tarots. Oscar Dominguez, Frédéric Delanglade, Victor Brauner, Wifredo Lam… dessinent Freud, Paracelse, des mages de flamme et d’amour, la roue et le sang de la Révolution.

Réagir par l’humour, avec Joseph Steib, employé au service des eaux de la Ville de Mulhouse. Dans la cuisine de sa petite maison à Brunstatt, ses peintures ont pour cibles le régime nazi, ses exactions, ses barons et surtout Hitler lui-même. Dans la veine populaire des ex-voto, il devient un critique féroce. Comme une sorte d’Arcimboldo, le Führer prend l’aspect d’un agglomérat de porc, de vermine et de déjections, affublé de slogans nazis tournés en ridicule. Un oeuvre unique et hallucinante, sauvée miraculeusement de l’oubli.

La Traversée parle aussi de créer après la guerre, de continuer à témoigner de ceux qui ne sont plus, pour ceux qui restent encore. L’art est aussi résilience.
Dans les grandes cathédrales françaises, on choisit un artiste profondément empreint de judéité, Marc Chagall, pour faire des vitraux, à Metz, à Reims. L’art redevient un pont entre les hommes.

Détail du vitrail de la Création et du péché originel
Cathédrale de Metz, Marc Chagall, 1963 © Droits réservés
Le Conquérant, Joseph Steib, 1942, huile sur toile
© Collection particulière/K. Stöber

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